La danse à l'époque romane

d'après Mme Suzanne MANOT

article paru dans la revue "aguiaine"

spécial année romane

revue encore disponible aux éditions SEFCO ( environ 6 €)

La danse à l'époque romane

par Mme Suzanne MANOT

La danse étant le reflet d'une société donnée à un moment donné de son histoire, il est nécessaire -avant d'aborder l'étude de la danse de cette longue période - de rappeler brièvement ce que furent, au cours des 700 ans de la période romane, l'histoire de la vie sociale et culturelle de ce qui était alors notre pays.

EN   BREF...UN PEU    D'HISTOIRE

L'époque romane commence au Ve siècle, à la décadence du grand Empire romain qui marque la fin de la civilisation gallo-romaine. Elle s'étend jusqu'au XIIe siècle inclus. C'est la période la plus riche de notre histoire de France. Le XIIe siècle, qui en est l'apogée, est l'un des plus brillants de notre civilisation occidentale. Mais, avant d'atteindre ce siècle brillant, peut-être le plus essentiel et le plus décisif de tout le Moyen Age, notre pays, qui n'était pas encore « l'hexagone » a connu, au cours de ces 700 ans, bien des alternances de guerre et de paix, de progressions et de reculs ; mais, toujours, avec plus ou moins de bonheur, l'évolution, bien que lente s'est faite vers la connaissance, le mieux vivre, l'organisation culturelle et sociale.

Du V au VIIIe siècle, la société est en décadence. Tout ce qui avait fait la grandeur de la domination romaine, se détériore ; on assiste à la dégradation constante de la vie matérielle. Le pays subit les invasions barbares. Le christianisme est en régression et ne subsiste qu'en milieu urbain ; les campagnes ne sont pas évangélisées. Les VIIe et VIIIe siècles sont de très basses époques.

Avec l'avènement des Carolingiens, une ère de paix s'installe et un renouveau s'amorce : réorganisation de l'église et du monde rural, renaissance des lettres. Malgré les périodes de disettes, et bien que l'économie soit fermée et le commerce inexistant, ce qui aurait facilité les échanges culturels, de grands progrès sont accomplis qui permettront la renaissance du XIIe siècle.

Aux alentours de l'an mille, une lente ascension s'amorce qui ne cessera de s'accentuer au cours des deux siècles suivants. On assiste alors à une reprise économique et commerciale. La découverte de nouvelles techniques permet l'amélioration du rendement des cultures et des conditions de travail. L'artisanat se développe. Tout cela a été rendu possible par une plus grande sécurité : moins de risques de guerre, une diminution du taux de mortalité et un accroissement de la population. Le pays s'urbanise, les échanges commerciaux deviennent plus importants, la population plus heureuse. L'Eglise, qui joue un rôle primordial, est définitivement réorganisée ; la vie intellectuelle et l'art sous toutes ses formes se développent.

Le XIIe siècle, qui concrétise le sommet de cette évolution, sera un palier, une phase de stabilité qui donnera au pays une avance certaine sur tous les royaumes de l'Europe chrétienne. Les bases institutionnelles du XIIe siècle ont servi de tremplin pour les siècles suivants.

LA DANSE

Que pouvait être la danse de l'époque romane ? Quelle sorte de société reflétait-elle ?

Avant même de tenter de l'analyser, on peut affirmer que la danse de cette longue période nous est mal connue, sauf en ce qui concerne l'Antiquité classique. Aucun texte n'est parvenu jusqu'à nous, et pour cause, le niveau intellectuel du peuple étant très faible ; seuls, quelques érudits savaient lire et écrire. Ne s'intéressaient-ils pas à la danse, ou bien celle-ci faisait-elle à ce point partie intégrante de la vie quotidienne qu'ils ont jugée inutile d'en parler ? Bien difficile à dire. Toujours est-il qu'avant l'apparition des troubadours, on en est réduit à émettre des hypothèses. Il est toutefois certain que la danse a conservé les caractéristiques des danses des cultures primitives.

Il semble indispensable — avant d'aborder cette période — de faire un retour aux sources en se référant à l'histoire de la danse. Au cours des millénaires qui ont précédé la période romane, l'évo­lution très lente de l'homme, les changements progressifs qui sont intervenus dans son mode de vie ont transformé ses moyens d'expression qui, peu à peu, se sont affinés et polisses. Mais, dans toute évolution, le passé sert de tremplin à l'avenir, l'homme s'appuie sur ce qui existe pour aller vers l'inconnu ; il y a continuellement un tissage, un amalgame des croyances nouvelles aux anciennes. Les thèmes des danses primitives ont servi de base pour conditionner les danses des époques suivantes.

Ce rappel des danses primitives permettra d'expliquer certaines pratiques de danses et de mieux comprendre le comportement des êtres humains de la période concernée.

PÉRIODE   PRÉ-ROMANE

La danse — existant déjà au stade pré humain — fut le premier de tous les Arts. Depuis son apparition sur la terre, l'homme a dansé, mais il est certain que les premières manifestations de cet art furent bien éloignées de ce que nous connaîtrons par la suite. Toutefois, dès l'origine, on trouve dans les danses, quelles qu'elles soient les formes de danses rondes ou en ellipse, la marche, la contre-marche, les sautillements, les martèlements et tourbillonnements qui sont les gestes et déplacements initiaux de la danse. L'homme a tout d'abord dansé pour libérer son excès de forces et manifester sa joie de vivre. Le rythme, même s'il ne s'agit que d'un simple martèlement, coordonne toutes ces forces. Subordonné à ce rythme, le danseur s'évade peu à peu de la réalité, il s'envole vers des sphères où l'intuition, l'imagination et le rêve ont libre cours et deviennent des forces créatrices. Dansant d'abord pour s'exprimer et prendre conscience de l'espace et du temps, l'homme, au cours de son évolution et de sa connaissance de l'univers et des autres êtres, associe peu à peu à la danse, la réflexion. La danse n'est plus alors la réaction spontanée à un état émotif, elle devient un moyen de participation à l'universalité du monde. Ainsi, au moyen de la ronde qui n'était, au début, qu'un instinct qui le poussait à se délimiter dans l'espace et à se mesurer à celui-ci, il va conclure qu'encercler une personne, un objet, ou autre élément c'est, en fait, se l'approprier, le réduire à sa merci, le dominer. Après sa propre prise de conscience spatiale et sa connaissance du parti qu'il peut en tirer, il va chercher à exercer son pouvoir sur les forces de la nature : naissance, maladie, mort, faim, retour régulier des saisons, etc... Cherchant à comprendre son environnement et les différents cycles de la nature mais n'ayant pas encore de connaissances scientifiques il va attribuer ces différents phénomènes à des esprits, à des forces supérieures qui sont bien ou malfaisantes. Son but sera donc de s'approprier les forces bénéfiques et d'éloigner les mauvaises. Sachant le pouvoir de l'encerclement il va, par ce moyen, tenter d'apprivoiser les esprits. Le cercle fermé au monde extérieur, est indépendant ; il isole le groupe et assure ainsi la concentration des forces bénéfiques. C'est déjà une action magique. Mais pour exercer son action magique, l'homme doit s'arracher à sa vie quotidienne, se déshumaniser, se diviniser pour s'avancer vers des espaces inconnus où le moi se perd dans l'infini. Cette sorte d'extase qui va lui donner le pouvoir d'entrer en communication avec les esprits et d'agir sur les événements, est obtenue par la danse. Cette participation active lui donne une force surnaturelle qui est l'essentiel de l'action magique et du rayonnement de l'énergie. Les danseurs plongés dans cet état second, se concentrent sur le but à atteindre, exaltent les forces extatiques du groupe et les portent au degré suprême de la force magique en créant un courant d'harmonie entre la puissance surnaturelle et la chose que l'on désire voir se réaliser. Cette puissance est encore portée à un plus haut degré si elle s'accompagne de paroles appropriées prononcées, soit par un officiant, sorcier ou prêtre, placé au centre du cercle, soit par les danseurs eux-mêmes. Ces paroles sont de véritables incantations. La danse devient alors prière, parfois accompagnée de sacrifice.

Dans ces danses primitives, il faut distinguer deux catégories : les danses abstraites et les danses imitatives. Les danses abstraites, dont le but spécifique est l'obtention d'une chose précise : guérison d'un malade, fertilité du sol, initiation des adolescents, danses nup­tiales, etc..., sont purement magiques. Dans les danses imitatives l'homme, conscient de sa puissance, cherche à dominer les événe­ments désirés en les mimant afin d'en forcer la réalisation.

Ce rituel magique des forces de la nature : rites de fécondité, de la chasse et des activités s'y rapportant est déjà attesté au paléolithique (entre — 14000 et — 13000 av. J.-C.) par des peintures retrouvées dans différentes grottes.

Plus tard, au néolithique (entre — 5000 et — 3000 av. J.-C.), les deux types de danses abstraites et imitatives sont confirmés ; cepen­dant une évolution s'est faite. On distingue déjà deux types de danses qui se complètent et se conditionnent mutuellement : le paysanisme et la danse de la culture seigneuriale. A cette époque la population d'environ 5 millions d'habitants vivait essentiellement d'agriculture et d'élevage. Il est probable que, désirant s'attirer la protection des forces bénéfiques de la nature, ils aient pratiqué les danses rituelles de leurs ancêtres mais sans doute plus élaborées. Là encore, des représentations picturales telles le « Sorcier dansant » (dit aussi : « Dieu Cornu ») retrouvé dans la grotte des Trois-Frères, en Ariège, témoignent de cette évolution. Dans les danses du paysanisme se retrouve l'imitation mimée de la brigue amoureuse et de la conquête ; c'est une danse d'ensemble, front contre front, c'est-à-dire face à face, avec ordonnance des figures faites d'enroulements et de déroule­ments. Dans les danses de la culture seigneuriale on voit, dès main­tenant, l'apparition de danses plus complexes réclamant une formation du corps à la danse. Cette forme-ci serait plutôt un auxi­liaire des distractions et de la représentation mondaine.

L'ère celtique ajouta ses propres croyances à celles déjà transmises par les ancêtres. Tout au long des siècles et au fur et à mesure de la progression des êtres vers la connaissance il n'y a jamais abolition ou suppression totale des rites, mais toujours mélange des croyances ; les connaissances s'accumulent et s'assimilent. Ainsi, chez les Celtes, dont la religion était le monothéisme, un seul Dieu : le Grand Etre, était adoré. Il règle la marche du temps, des planètes, fait germer les plantes, etc..., et a pour auxiliaires les esprits. Les grandes fêtes rituelles destinées à obtenir l'intervention bénéfique de ces esprits, étaient nombreuses. Les principales étaient le 1er novembre, fête des morts, qui était une fête gaie, car, croyant à l'immortalité de l'âme et à la réincarnation, leur théorie était que la mort précède la vie, comme la nuit le jour ; ensuite, venaient les fêtes de la nouvelle année, du 1er février, de la mi-été, etc... Ces cérémonies étaient accompagnées de chants et de danses qui avaient pour but de créer une chaîne entre les participants et l'au-delà. Ceci aura son impor­tance pour la période romane.

L'invasion de la Gaule par les Romains n'apporte que peu de modifications aux croyances religieuses des Celtes. Très libéraux, les envahisseurs permirent aux Gaulois de pratiquer leur rituel et de continuer à honorer leurs dieux. Ceux-ci adoptèrent même quel­ques dieux romains et créèrent des sanctuaires pour la célébration de nouvelles cérémonies. D'ailleurs, les fêtes romaines sont proches de celles des Gaulois et leur correspondent à peu près. Ainsi, les Saturnales du 1er novembre ont le même thème que la fête des morts des Gaulois et sont célébrées à la même date ; la fête de la Purifi­cation, en février également, etc... Les romains participaient aussi à des processions pour les semailles et la purification des champs en février. Ils y dansaient des rondes mais d'hommes seuls. Mis à part les rondes et les processions cérémonielles, la danse romaine est très pauvre et n'a dû avoir que peu d'influence sur les Gaulois. Les rondes-mêmes n'étaient que faiblement dansées. Il faut noter toutefois, une danse composée de trois pieds métriques : le Trépidium qui était une danse de guerriers avec des épées.

L'avènement de l'ère chrétienne amène d'importantes modifications culturelles. Les sanctuaires élevés à la gloire des dieux romains et gaulois sont détruits. Le culte païen, privé de ses moyens et ne pouvant continuer, va survivre sous forme de superstitions. Mais c'est encore trop pour l'Eglise qui s'en inquiète et partout où elle ne pourra détruire ces pratiques, elle y substituera un symbole du christianisme ou un saint protecteur. Malgré cet acharnement de l'Eglise à démolir les vestiges des anciens cultes, ils persisteront dans la danse où les modes d'expression des grands thèmes et les idées fondamentales ne seront pas affectés.

Ce rappel historique, peut-être un peu long, était malgré tout indispensable pour expliquer comment bon nombre de nos traditions prennent leur origine dans ce lointain et mystérieux passé. Le fond de l'âme et la mentalité rurale, sont encore imprégnées de ces données où se mêlent la superstition et les faits réels.

PÉRIODE   ROMANE

Transmis de génération en génération et fortement enracinés dans l'esprit populaire, ces rituels, aussi vieux que le monde, persistent, mais, progressivement, viennent s'y adjoindre les cérémonies et les fêtes du culte chrétien. Cependant, il n'y a pas vraiment substitution, mais amalgame de ces nouvelles croyances aux anciennes. D'ailleurs, les missionnaires chrétiens suivirent la coutume romaine et bâtirent leurs églises sur l'emplacement des sanctuaires ou temples païens. Ils adoptèrent, pour leurs fêtes, les dates des fêtes païennes et leur empruntèrent même quelques usages : la cloche, les bougies, l'encens, la danse.

Danse dans les églises :

A l'origine, le christianisme n'est pas hostile à la danse et aux fêtes. Bien au contraire, le clergé utilise ce stratagème pour attirer les fidèles dans ses sanctuaires. Ces danses à caractère pacifique sont exécutées par les clercs des églises ou des cloîtres en dehors des offices religieux. Le peuple y participe spontanément. Danses rituelles, elles sont réservées à la célébration des événements ecclésiastiques : élection des évêques, célébration des fêtes des saints, de la circoncision, de l'Epiphanie, Pâques, etc...

Les formes et les thèmes de ces danses, varient selon les fêtes et les saints qui sont honorés et l'événement qui y est commémoré, ainsi que selon les régions.

Par exemple, à Auxerre, lors de la réception d'un chanoine, se pratiquait le jeu de la pelote. Dès qu'il avait reçu cette pelote le nouvel élu prenait un chanoine par la main et ainsi de tous les autres qui en cercle ou d'une autre manière se mettaient à danser en se renvoyant cette pelote. Ce renvoi se faisait du premier de l'assemblée et revenait au chanoine et ainsi de suite. Les fidèles des deux sexes se mêlaient au clergé. (Extrait d'une lettre publiée au Mercure de France en 1726.)

Le jour de Pâques, à Besançon, des danses étaient exécutées après None, sur des hymnes religieux ou profanes.

En Bretagne, des danses populaires furent exécutées dans les chapelles jusqu'au XVIIIe siècle.

Bien d'autres manifestations avaient cours, mais il serait bien trop long de les citer toutes.

Les formes de danses étaient des rondes ouvertes ou fermées ou en chaîne et des processions. Elles étaient soit marchées, soit dansées avec des pas latéraux, soit presque sur place ou encore avec des pas sautés. Les farandoles se faisaient au pas sauté. Il existait aussi certaines processions où les officiants balancent les encensoirs en suivant une ordonnance très précise ; les déplacements se font avec un pas spécial appelé : pas des Pèlerins. La progression se fait ainsi : le pied gauche avance, le droit se place à côté du gauche, le gauche recule ; puis c'est l'inverse (1). Les danses avaient lieu soit dans la nef et autour du chœur, soit en dehors de l'église autour de celle-ci et sur la place. Elles étaient accompagnées de chants religieux ou profanes, parfois soutenus par des instruments de musique : tam­bourin, instruments à cordes, castagnettes (Espagne), orgue, etc...

Parfois, ces danses sont de véritables ballets évoquant des scènes religieuses, telle cette danse des Anges au Paradis exécutée à Séville pendant l'Octave de la Fête-dieu et de l'Immaculée Conception.

D'un tout autre caractère était la fête des Libertés de décembre, appelée Fête des Fous ou fête des Saints Innocents, qui avait lieu de Noël à l'Epiphanie. Cette fête avait remplacé les Saturnales romaines. Elle constituait une rhapsodie de tout ce qui se chantait durant l'année. C'était une véritable bouffonnerie. Les ecclésiastiques apparaissaient à la célébration des offices religieux avec des masques représentant des figures monstrueuses, d'autres étaient vêtus d'habits féminins, d'autres encore retournaient leurs vêtements. Ils élisaient un évêque, un archevêque ou un pape des Fous, dansaient dans le chœur en chantant des chansons profanes, voire dissolues, de carac­tère libertin ou grivois. Cette fête avec ses rondes, ses chants bouffons, était célébrée par tous les religieux et religieuses dans les cloîtres et les églises. Le jour de Noël, après vêpres, les diacres dansaient une antienne à saint Etienne ; le jour de Saint-Étienne, c'étaient les prêtres ; le jour de la Saint-Jean, c'étaient les enfants de chœur ; les sous-diacres enfin, le jour de la Circoncision ou de l'Epiphanie. Ces fêtes donnaient lieu à de véritables abus dans la tenue et les propos et furent interdites.

D'ailleurs tous les ébats chorégraphiques dans les églises dégénérèrent à tel point, qu'ils furent interdits par de nombreux conciles, dont celui de Tolède, en 589.

Toutes ces interdictions furent suivies de peu d'effet, car ces danses persistèrent encore longtemps puisque certaines sont signalées au XVIII e siècle.

(1) Curt Sachs : « Histoire de la danse », p. 97

Danses macabres :

Les danses macabres ou danses des morts, qui avaient lieu tantôt dans les églises, tantôt dans les cimetières ou autour de ceux-ci, ont suscité bien des controverses. D'après Maurice A. Louis (2) « elles pourraient être issues des sabbats et d'horribles farces que l'on désignait sous le nom de diableries ou encore des cérémonies que l'on célébrait à l'anniversaire du décès ». Il y a peut-être quelque vérité dans cette hypothèse mais il semble que l'auteur ait déformé l'esprit dans lequel avait lieu la célébration de l'anniversaire du décès d'un membre d'une famille. L'origine de ces cérémonies est un repas simple pris devant le tombeau dans la joie et l'allégresse et le but en était charitable, puisque des pauvres et des veuves y étaient invités. On y célébrait aussi l'Eucharistie car, pour les chrétiens « la mort est une porte qui ouvre sur la vie » et tout comme dans la religion druidique c'est une chaîne qui se crée entre le mort et les vivants. Pour les uns, la renaissance se fera par le Christ, pour les autres, par la réincarnation.

Ce ne sont pas des « fêtes horribles », mais l'expression de la continuité de la vie par delà la mort. Toutefois il se peut que cette cérémonie ait dégénéré et qu'il s'y soit adjoint une sorte de mascarade. Plus exacte semble être la version de Curt Sachs qui voit dans ses danses l'exaltation des forces vives de l'extase, un transport hors du monde matériel et hors du moi, les danseurs cherchant dans les rondes effrénées parcourant les cimetières, le contact avec leurs morts. Cette notion semble beaucoup plus conforme à la réalité que les « diableries » ou les hypothèses de Carpentier croyant « qu'il s'agit d'un spectacle essentiellement religieux » ou les affirmations de G. Kastner qui écrit dans son important ouvrage sur la danse des Morts (Paris, 1892), « qu'il s'agit d'un véritable ballet ». Cela peut être vrai mais ces formes sont apparues sans doute bien plus tard.

(2)  « Dictionnaire de la danse », J. Baril.

A toutes ces notions, il faut également ajouter celle de la peur de la mort provoquée par les épidémies, les guerres interminables, la misère et les fléaux de toutes sortes qui accablaient le peuple. Brisés, bouleversés au plus profond de leur être, les hommes tentent de s'aliéner les faveurs de la Mort en la glorifiant.

De nombreux récits datant des XIe et XIIe siècles, attestent cette frénésie de la danse. Poussés par on ne sait quelle impulsion irrésis­tible, les gens se mettaient à chanter et à danser en plein cimetière. Quelles étaient leurs pas, leurs attitudes, on l'ignore. Seul, un auteur du XIIe siècle, Girard le Cambrien, nous en donne dans, son Itinera-rium Cambriae, une description précise : « L'on y voit des hommes et des femmes, tantôt dans l'église, tantôt au cimetière, tantôt en une ronde qui court autour du cimetière ; soudain, ils se jettent à terre et, tout d'abord, y restent comme emportés par l'extase et immobi­les ; puis, ils bondissent de frénésie et se mettent à représenter des pieds et des mains, des travaux interdits les jours de fête. L'un semble mettre la main à la charrue, un autre excite les bœufs de son fouet et tous deux profèrent des cris rauques qui accompagnent habituellement ces travaux. En voici un qui fait le cordonnier, un autre qui imite le tanneur. Plus loin une danseuse paraît traîner la quenouille, tantôt elle tire le fil de la main et du bras, tantôt elle l'enroule sur le fuseau ; une autre dans sa course semble tendre les fils de la chaîne ; une autre encore faire aller la navette et abaisser ou relever le métier pour tisser sa toile. Enfin, on les voit à l'intérieur de l'église, conduits à l'autel avec des offrandes, qui se réveillent stupéfaits et reviennent à eux. »

Si l'idée d'égalité devant la mort date des premiers chrétiens, une nouvelle notion apparaît au Moyen Age : la mort annonce la déli­vrance de la vie terrestre. Cette danse des Morts avec les vivants, en exprime l'idée. La danse ronde était le symbole le plus direct pour faire comprendre aux êtres humains qu'ils devaient tous parcourir le même chemin, passer par les mêmes angoisses pour aboutir à la même fin.

Par delà la joie et la vitalité, la danse prend la signification d'une douloureuse tristesse. La ronde joyeuse entraîne les danseurs, la mort tire derrière elle, sur un rythme implacable, tout ce qui fut vivant. La danse, image de la vie, mais qui marque le caractère éphémère de toute chose, est le double symbole dans lequel se débat l'âme du Moyen Age.

La danse populaire :

La danse est un fait social et semble faire partie intégrante de la vie. Que ce soit pour exprimer sa joie de vivre ou par réaction aux dures conditions de vie de cette époque, la danse est pratiquée dans tous les milieux, urbains et ruraux, humbles ou aristocratiques.

Mis à part la danse dans les églises et les danses macabres, il existe une autre forme de danse que l'on peut appeler danse-divertis­sement qui se fait à toutes les occasions. La connaissance technique de ces danses est très limitée. Toutefois, les thèmes et motifs issus des temps les plus anciens, n'ont pas été modifiés par le christianisme. D'après l'uniformité qui rapproche les couches culturelles de la période pré - romane, il est possible de déduire le mode essentiel de ces danses. Les traditions de l'antiquité non-classique persistent ; l'esprit des anciens dieux, bien que combattu vigoureusement par le clergé, est toujours présent dans l'âme populaire. La permanence, l'immuabilité des traditions, sont attestées par l'importance prédo­minante que conserve tout le rituel touchant à la fertilité : danses des brandons, qui était exécutée le premier dimanche de Carême par les paysans qui, munis de torches, parcouraient les jardins et les vergers en chantant des hymnes sacrés et en dansant autour des arbres. Danses de la mi-Carême avec masques et travestis, rondes autour de l'arbre de mai, fêtes de la mi-été avec rondes autour du bûcher flambant, danses de noces, etc...

Toutes ces danses, survivance des anciens cultes, sont le reflet de la préoccupation constante qu'a l'homme d'assurer sa subsistance : désir d'obtenir de bonnes récoltes, de voir se reproduire ses animaux et perpétuer sa race. Par ces pratiques, il cherche à canaliser les énergies secrètes de la nature et à en orienter les forces invisibles à son profit. Le type de ces danses devient magico-religieux.

Techniquement, les formes de ces danses sont des rondes en chœur, ouvertes ou fermées, rondes d'hommes seuls, de femmes seules ou mixtes. Elles sont exécutées soit au pas marché, soit sur place ou avec des sauts ou sautilles. Parfois, ce sont des chaînes ou farandole au pas sauté. Elles sont accompagnées de chants.

LA PÉRIODE DES TROUBADOURS

A partir du XIe siècle, la société change profondément et un nouvel art de vivre, plus raffiné, plus humain, plus délicat, apparaît aussi bien dans la population que dans les Cours royales. La renaissance du XIIe siècle s'amorce ; l'art sous toutes ses formes se développe et la vie intellectuelle devient plus intense.

L'apparition des troubadours et des jongleurs va contribuer à cette évolution sociale et artistique, leur activité servant de véhicule aux grands courants d'idées de cette époque. En ce qui concerne la danse, ils vont lui donner une impulsion nouvelle en ajoutant leur apport vivifiant et varié au patrimoine antique.

Il convient toutefois d'établir une distinction entre le troubadour et le jongleur. Le premier est avant tout un créateur, auteur et compositeur, à la fois poète et musicien. Le second est un artiste ambulant : poète, musicien, acteur, danseur, acrobate, bouffon, et... bateleur ! L'activité des troubadours s'est étendue sur deux siècles, de 1100 environ à la fin du XIIIe s. Ses débuts sont attestés par Guillaume, IXe duc d'Aquitaine, VIIe comte de Poitiers, né le 22 octobre 1071 et mort en 1127. Prince de haute lignée, c'est le premier des grands poètes de langue occitane que nous connaissions.

A la danse, le jongleur apporte les motifs des danses artistiques de l'antiquité classique, principalement la danse des mains, qui est un des éléments essentiels de son art. Le jongleur danse le plus souvent en solo et aux sauts et torsions qui composent ses danses, il ajoute des mouvements de grande acrobatie : pont, équi­libre sur les mains, etc... Il allie la force et la souplesse, à la beauté physique. Le jongleur est un danseur professionnel.

La danse se subdivise déjà en trois Catégories : la danse populaire, la danse seigneuriale et la danse professionnelle.

Les troubadours, en introduisant la notion d'amour courtois, nous ont donné les rondes d'Amour et les Caroles.

D'après Margit Shaliu dans une thèse, de 1940, le mot Carole aurait pour origine, l'invocation populaire Kyrie eleison qui serait devenu Kyriole, puis cariole et enfin Carole. Curt Sachs le fait dériver du latin Corolla : petite couronne. Danse en chœur ayant pour ancêtre l'antique ronde, la Carole est une chaîne de danseurs qui se donnent la main et se déplacent soit en ligne droite, soit sur un cercle ouvert ou fermé, sans chorégraphie très précise. Le mouvement en est une marche rythmée.

L'art raffiné, savant, élaboré des troubadours va donner une nouvelle dimension à la danse. La poésie des troubadours a pour thèmes fondamentaux, l'idéal de l'amour courtois. Se refusant à considérer l'amour comme la seule satisfaction de l'instinct sexuel, ils cher­chent à le sublimer, à le spiritualiser. Ils en font un tout complexe, fait de réserve, de respect, de délicatesse à l'égard de la femme. Cette exaltation de la femme, cet amour placé si haut, va devenir pour eux une source de progrès intérieur, d'enrichissement, de perfection.

Cette extrême sensibilité trouvera son expression dans les chan­sons d'amour, les ballades, etc... où il exaltera sa JOY. Joy, Amor et Cortézia sont les trois caractères essentiels de l'art des troubadours et vont se concrétiser dans la danse. La ronde principalement ; la danse en cortège (de cortézia) par groupe de deux ou trois danseurs, semble être apparue vers le XIIIe siècle seulement ; seuls, existaient les cortèges, les processions religieuses.

La ronde n'est plus un simple cercle de danseurs ; elle se charge d'éléments dramatiques par l'introduction de plusieurs personnages. Le motif consiste à mimer le jeu d'amour : provocation, refus, minaudements, menace taquine et enfin consentement qui se scelle par un baiser. Elle devient un jeu plaisant, animé où se retrouve la notion fort ancienne de la possession d'un objet ou d'un être au moyen de l'encerclement et qui a été expliquée précédemment.

Ces rondes raffinées et courtoises des cours seigneuriales, ont leur équivalent dans la danse populaire où l'on reconnaît ces mêmes thèmes et types sous forme de pastourelles qui mettent en scène une bergère et des bergers ou une bergère et un personnage de haut rang.

On peut, dès maintenant, observer l'interférence qu'il y a toujours entre la danse de société et la danse populaire qui s'inspirent mutuellement et se complètent. Car si les troubadours ont puisé dans le filon folklorique, le peuple, lui, chercha à imiter ce qui se faisait dans les Cours seigneuriales ou royales et, par ce contact, s'est affiné, polisse.

Cet art des troubadours et de la haute société du Moyen Age, va marquer de son cachet les beaux usages des siècles à venir et ainsi déterminer ce que sera la danse des siècles futurs, danse qui est l'expression la plus directe de ce qui se fait dans une société.

la danse en Saintonge, Aunis et Angoumois

Si la Saintonge fut un des hauts lieux de civilisation celtique et romaine, elle connût aussi une très brillante période romane attestée d'ailleurs par tous les monuments, églises et édifices d'une très grande beauté, dispersés sur son territoire.

La Saintonge, de même d'ailleurs que l'Aunis et l'Angoumois, est un pays béni, possédant de grandes richesses naturelles dues à la fertilité du sol, à la proximité de la mer et à la douceur du climat. Contrairement à d'autres régions, on n'y connaît pas la misère et la population y vit heureuse dans un luxe familier.

Toutes ces conditions favorables ont fait que, très tôt, la vie intellectuelle et artistique s'y est développée. Les habitants sont cultivés et raffinés ce qui n'exclut pas, toutefois qu'ils ne soient restés imprégnés des traditions établies et transmises depuis la plus haute antiquité.

Ainsi, les coutumes issues des cultes druidiques auxquelles se sont ajoutées les croyances du culte romain et liées au rituel de la fertilité, sont nombreuses en Saintonge. Le christianisme, ne pouvant détruire ces pratiques magiques, les a adoptées et sacralisées.

Les danses qui accompagnent ces divers rites sont les mêmes que partout ailleurs à l'époque romane : rondes ouvertes ou fermées, chaînes, etc... Les gestes et les pas demeurent ignorés. Si les rites de fertilités sont mieux connus, aucun document ne donne d'indications précises en ce qui concerne la danse dans les églises et les danses macabres. Cependant, les danses dans les églises ont probablement existé, soient associées aux rituels de la fertilité qui étaient tous assortis de processions religieuses et de danses profanes, soient liées directement au culte. Les danses macabres ne sont pas signalées en Saintonge mais les processions dans les cimetières ou aux croix hosannières peuvent faire présumer de leur existence.

Ainsi, en partant de la connaissance générale de l'époque romane en matière de danses et coutumes, il est possible de déduire ce qui se faisait dans une région, compte tenu des usages et coutumes locales et des faits mentionnés postérieurement.

De ces coutumes accompagnées de danses où sont étroitement mêlés le magique et le religieux, il ne sera donné que quelques-unes parmi les plus typiques, car elles sont trop nombreuses et dépasse­raient le cadre de cet exposé.

la fête de l'âne

Une cérémonie typique, fort réputée en Saintonge, qui avait lieu le jour de la Circoncision, était la célèbre « fête de l'Ane » qui cor­respondait aux libertés de décembre ou fête des Fous. C'était une fête très populaire, voire licencieuse, une véritable mascarade. Elle représentait soit Balaam (3) monté sur une ânesse, soit la vierge et l'Enfant Jésus qu'un âne richement caparaçonné transportait en Egypte. Ce jour-là, les prêtres se costumaient en femmes ou en diables, s'affublaient parfois de masques grotesques ou encore retournaient leurs vêtements. Ils célébraient un simulacre de messe dont le principal acteur était un âne. Il était amené à l'autel recou­vert de la chape du prêtre et participait à la cérémonie. Les prières rituelles étaient remplacées par des chansons égrillardes tandis que le pape des Fous était encensé avec la fumée de vieux cuirs. A la fin de cette parodie de messe, à la place de Ite Missa est, le prêtre chantait trois fois Hi Han ! Hi Han ! Hi Han ! Sur le parvis de l'église, on chantait et on dansait la chanson de l'Ane qui devait être une ronde mimée.

A la suite de cela, le prêtre était parfois promené à travers la ville dans une charrette remplie d'immondices.

Au XIIe s., l'âne ne rentrait plus dans l'église, il restait sur le parvis.

Un manuscrit du XIIIe siècle (4) fait allusion à cette fête : « A Mâtines de la Circoncision, les leçons font allusion aux folies carnavalesques avec lesquelles, par un reste de paganisme, on célébrait les Calendes de janvier ».

Cette fête est mentionnée encore plus tard, le 15 janvier 1581 (5) mais déjà très atténuée puisqu'il ne s'agit plus que d'un évêque des Innocents qui était un enfant de chœur ayant été élu évêque et qui officiait à vêpres. Cet « évêque » monté sur un âne ou un petit cheval, se rendait en procession avec tout le clergé chez Mme l'Abbesse de Saintes, puis retournait à Saint-Pierre.

De plus en plus expurgée, cette fête se serait poursuivie, d'après Boisselage (6), jusqu'au XVIII e siècle.

(3) Balaam : Faux prophète. La Bible raconte que, mandé par les Moabites pour maudire les Israélites, il en fut empêché par l'Ange du Seigneur qui lui barra la route en chemin sans se faire voir. Comme Balaam frappait son ânesse pour la faire avancer, celle-ci prit une voix humaine pour se plaindre. Troublé, Balaam renonça à sa mission. (Nombres XXII).

(4) Recueil de la commission des Arts et Monuments historiques de la Charente-Maritime. 1860-1867, Tome I. Rapport adressé à Monseigneur l'Evêque de La Rochelle et Saintes sur un Bréviaire de Saintes, Manuscrit du 13e siècle, p. 147.

(5) Même recueil que le précédent, Tome 3. Registre de François Tabourin. Analyse et extraits par l'Abbé Th. Grosilier, p. 156 f» 287, p. 157 f» 288.

(6) « Les Fêtes du Village en Poitou et en Angoumois, au XVIIIe siècle ».

le bœuf gras

C'est une coutume fort ancienne. La fête était célébrée primitivement par les Egyptiens, les Gaulois, les Romains, et les Francs lors de l'équinoxe de printemps, époque à laquelle le soleil entrait dans le signe du Taureau. Cette coutume consistait à choisir un bœuf bien gras, appelé « Bœuf Roy » et à l'offrir à l'admiration des foules. En Saintonge c'était le Jeudi-gras qu'avait lieu cette cérémonie. Le bœuf, couronné, paré de fleurs, était promené dans toute la ville suivi par un brillant cortège précédé d'instruments de musique.

On lit, dans le Registre des délibérations du Corps de la Ville de Saintes à la date du 22 février 1581 : « Et le Jeudi Gras, Vingt-deuxième du dict-mois, le dict sieur Maire a mis le bousquet au front du bœuf-roy,CORME-ROYAL présenté par les bouchers du bourg de Saint-Pallais, à raison que les maistres bouchers de la présente ville n'ont amené leur bœuf-roy, suivant les bonnes et anciennes coutumes et leurs privilèges octroyés par les roys ».

Cette coutume est observée dans d'autres régions. Ainsi, dans le Var, elle avait lieu du 14 au 16 janvier ; le clergé y participait avec les fidèles. Tous, groupés en cercle, ils se mettaient à sauter et à danser ensemble après les diverses cérémonies religieuses. Cette danse était appelée la danse des tripettes. D'origine païenne, c'est un mouvement rythmique de tout le corps qui s'élève sur la pointe des pieds en cadence. A-t-elle été dansée en Saintonge ? Nul ne le sait, mais il est certain qu'un bal avait lieu pour clore la fête.

La propagation du christianisme fit perdre à cet usage son caractère sacré, la fête est devenue par la suite une simple fête corporative, celle des bouchers. Elle existait encore en Saintonge en 1939 et connut, plus près de nous, diverses tentatives de remise en honneur.

les rogations

II est intéressant de mentionner cette fête car elle se rapporte aux rites de fertilité liés à la représentation dans les églises. C'est une survivance des anciennes fêtes de la Purification des champs qui avait lieu en février. Ce jour-là, les romains organisaient des pro­cessions dans les champs pour les rendre fertiles et les hommes y dansaient des rondes. Ces cérémonies ont été adoptées par l'Eglise et sacralisées. Elles ont conservé longtemps une grande importance. Elles se passaient ainsi : le prêtre se rendait dans tous les champs de sa paroisse pour les bénir. Il était suivi d'un cortège de tous les habitants et précédé d'un sonneur porteur de petites clochettes qu'il faisait tinter continuellement pendant la marche. Il est probable que l'on y dansait aussi, toujours des rondes, et peut-être des farandoles. Sur quels airs, avec quelles paroles ? Il est impossible de le savoir. La représentation de ce rituel dans l'église est attestée pour la ville de Saintes, dans le registre de F. Tabourin (7). On y lit :

« Comme aussy le lundy des rogations Ion allait en procession comme Ion va encore à présent audit lieu de Sainct Eutroppe et entroit on dans leglize dudit lieu par la grande porte qui est audessus le simetière... Ledit jour (mercredi des Rogations) Madame de Xainctes debvoit au chappitre ung grand may de may entouré de fleurs tout à lentour depuis le bas jusques en hault que Ion plantoit antiennement sur les murailles de la ville à lendroit du jardin de la psalette, car personne nentroit sur les murailles de la ville à lendroit dicelluy jardin... ».

(7) Recueil de la Commission des Arts et monuments historiques de la Charente-Maritime. Tome 3. Registre de François Tabourin. Analyse et extraits par l'abbé Th. Grosilier, p. 100 et 101, f° 217 et 218.

les rameaux

II y aurait beaucoup à dire sur les coutumes des Rameaux, car elles sont nombreuses et variées. Une seule sera retenue car, on présume, qu'elle peut avoir un rapport avec le culte des Morts et, éventuellement, avec les danses dans les cimetières. Celles-ci ne semblent pas avoir eu de grandes répercussions en Saintonge puis­que nulle part il n'y est fait allusion. Les processions à la croix hosannière ou à la croix des cimetières qui avaient lieu à l'époque romane et se sont perpétrées longtemps, pourraient être le seul témoignage des danses dans les cimetières. Elle se passait ainsi : après la messe, le clergé suivi de tous les assistants, se rendait en procession à cette croix. Au pied de la croix il y avait une cérémonie para-liturgique. Puisons encore dans le Registre de François Tabourin qui parle de cette procession des Rameaux à Saintes, en 1565 : « Procession des Rameaux à Saint-Vivien. Arrivée au cimetière Messieurs les religieux chantaient le répons Occurunt turbae... Evangile lu à la croix du cimetière. Sermon d'une demi-heure au plus. Retour à la ville. Attolite portas à la porte Aiguière. Entrée en ville en chantant Ingrediente. »

II serait très intéressant de décrire toutes les coutumes qui avaient cours à l'époque romane, mais il faudrait y consacrer un volume entier. Il convient toutefois de citer : le Ier mai, avec la fête de l'arbre de mai, survivance du culte de Vénus, fête accompagnée de danses qui se faisaient en rondes concentriques autour de l'arbre ; les enfants formaient la ronde la plus proche de celui-ci, puis venaient les adolescents et enfin les adultes. Les feux de la Saint-Jean, sur­vivance du culte de Bélanos et les rondes folles autour du brasier flambant et les sauts endiablés par-dessus le feu ; Pâques et ses processions, etc... Outre ces grandes fêtes, se déroulaient dans chaque ville, chaque village, les fêtes patronales à la fois religieuses et profanes, assorties ou non de foires ; les fêtes corporatives ; les processions qui avaient lieu régulièrement aux fontaines et autres lieux réputés pour la guérison miraculeuse de diverses maladies et infirmités, survivance du culte des fontaines et de la nature, proces­sions qui étaient accompagnées de rondes et de farandoles ; etc...

LES TROUBADOURS  EN  SAINTONGE

Les Saintongeais, gens cultivés et raffinés, ne sont sans doute pas restés insensibles à la poésie des troubadours et au « modernisme » qu'apportait, au XIe siècle, cette littérature en « langue vulgaire ».

Chantres de l'Amour et de la nature, leurs mélodies sont d'une allure franche et simple, au rythme iambique régulier, le 6/8 cher à notre folklore. Ils ont su exprimer dans ce style déjà « populaire » que traduisent si bien leurs mélodies, leurs ballades ou leurs poèmes, cet amour de la femme porté au plus haut degré.

Les plus représentatifs de notre région sont incontestablement : Guillaume de Poitiers et Rigaud de Barbezieux auxquels il faut adjoindre Renaud et Geoffroy de Pons.

Guillaume de Poitiers a laissé le souvenir d'une personnalité complexe, haute en couleurs. C'était un homme courtois mais cynique et paillard. Son œuvre est le reflet de cette personnalité : il s'y exprime tantôt l'amour chevaleresque, tantôt la plaisanterie gri­voise, frisant l'obscénité.

Rigaud de Barbezieux, n'était qu'un simple chevalier, fils cadet d'une famille à la fortune déclinante des viguiers des seigneurs de Barbezieux (mentionné dans des actes de 1140 à 1157). Comme tous, c'est un érudit, bien que son érudition soit livresque. Il était épris de faits merveilleux et anecdotiques recueillis de l'Antiquité. Il s'était fait une spécialité de comparaisons empruntées au Bestiaire.

Les troubadours, ainsi qu'il a été dit précédemment, ont créé les rondes d'Amour : celles des cours seigneuriales sont raffinées, éla­borées, tandis que les rondes paysannes dérivant des premières sont plus rustiques. Il est probable que les pastourelles et les « rondes à baiser », c'est-à-dire, celles où les partenaires s'embrassent à la fin de la danse, ont eu pour origine cette époque.

La présence des jongleurs et des troubadours dans les cours sei­gneuriales, est prouvée vers le milieu du XII e siècle à la cour de Renaud, sire de Pons (8) : « Au 1er Mai il donnait une fête d'un seul jour mais ce n'était pas la moins fréquentée ni la moins joyeuse, car il y invitait tous les troubadours et les jongleurs de la Saintonge, qui venaient y faire assaut de talent en y débitant leurs nouvelles productions, et il leur distribuait des prix.

(8)  « Chroniques Saintongeaises et Aunisiennes », par H. d'Aussy, p. 105.

l'art roman

Les troubadours et les jongleurs sont les contemporains du grand Art roman. Il n'est pas possible de passer sous silence la sculpture romane qui s'épanouit si merveilleusement sur les façades et à l'in­térieur de nos églises. Ces sanctuaires étaient environ deux mille au XIIe siècle et présentaient de telles caractéristiques que l'on peut parler d'une école romane saintongeaise. Les jongleurs et les dan­seurs ont bien souvent inspiré les artistes tailleurs de pierre qui les ont représentés dans leurs diverses attitudes.

Voici quelques exemples :

A Aulnay, à l'intérieur de l'église, un chapiteau représente un acrobate, la tête passée entre les jambes ; à Biron, également sur un chapiteau, un acrobate dans ses exercices de souplesse ; à ECHILLAIS, un joueur de viole rappelle les fêtes villageoises ; dans l'église de TALMONT, dans la seconde voussure ce sont six acrobates, trois de chaque côté, qui sont représentés, ceux d'en bas faisant la courte échelle et soutenant ceux d'en haut par les poignets, la tête en bas. A NIEUL-LES-SAINTES, c'est une vraie kermesse du Moyen Age avec tous ses petits personnages en train de s'esbaudir qui est représen­tée, les uns jouent de la musique : viole, théorbe et guimbarde, les autres dansent demi-accroupis. A PONT-1'ABBE d'ARNOULT, l'arcature de droite est merveilleuse : c'est l'apothéose de la danse avec ses personnages saisis sur le vif, la grâce et l'harmonie fixées dans la pierre tendre. On pourrait en citer bien d'autres.

EN  MANIÈRE  DE  CONCLUSION

La diversité des systèmes sociaux, les périodes de guerre et de paix qui rendent la vie difficile, les épidémies, les grands courants d'idées qui s'affrontent, la vie spirituelle intense, font de la période romane une période excessivement complexe. Mais, comme toutes les grandes époques complexes de l'histoire, ce fut une époque créatrice. Les immenses progrès réalisés dans tous les domaines vers la connaissance, ont abouti à ce siècle, le plus brillant de notre histoire : le XIIe. Aussi complexe a été la danse : danse populaire, danse dans les églises, danses macabres, pour aboutir, enfin, à de nouvelles créations : les rondes avec éléments dramatiques et les Caroles, qui ont donné une nouvelle dimension à la danse. La danse a suivi l'évolution sociale et culturelle ; elle est bien le reflet d'une société à une époque donnée.

 Musiciens et danseurs s'esbaudissent sur une archivolte de l'église de NIEUL-les-SAINTES

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BIBLIOGRAPHIE

Danse et Musique

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Niort, 1970. M. perrogon : Promenade au Pays du Temps Jadis, entre Charente et Arnoult.

Fin du texte intégral deMme Suzanne MANOT


 

 

 

Pour obtenir le numéro dont est extrait l'article ci-dessus:

La revue de recherche ethnographique "aguiaine" est éditée par la SEFCO (Société d'études Folkloriques du centre-Ouest)

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