"Lo
joy commens..."
d'Arnault de TINTINHAC
troubadour de NAVES
Lo
joi comens en un bel mes,
1_
Lo joi comens en un bel mes,
en la
meillor sazo de l'an,
quan
li auzel menon lur chan
ab lo
dous termini d'estiu
qu'aport
una dousa sabor:
per
que s'alegron chantador,
et
ieu, las! torn en recaliu!
I, II, III,
IV, V,VI
VII_
Petit son d'amoros cortes
que
sapchon gaire, al mieu semblan
enquerre
d'Amor com ni quan...
mas,
pos joi es el mager briu,
aqui
pareisson li meillor
que
sabon tener fin' Amor -
el
fols eis de son senhoriu.
VIII_
Ves tal amor me vira-l fres,
qu'anc
no s'azautet de truan;
ni
negus no s'en an gaban,
ni sos
amicx no l'en chastiu!
qu'anc
no fes blasme ni folor -
ans
porta de beutat la flor
e de
ric pretz nominatiu.
De Tintinhac
ac la valor qui fes vers nomenatiu.
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La vraie joie
survient un joli mois
La vraie joie survient un joli mois,
en la plus belle saison de l'an
quand les hirondelles mènent leurs chants
avec le printemps renaissant
qui apporte une suave douceur:
pour que s'égaillent tous ces chanteurs,
moi, las! je retourne rabâchant !
Mesquins
sont les amours courtois
qui ne savent guère, je le ressent
s'enquérir d'amour n'importe quand
mais, la joie sera le bien être
qui révélera les meilleurs
à qui savent conter fin'amor
cette même folie de son maître.
Vois quel amour me donne frisson
car jamais n'entend de tricheur
ni personne qui s'en fasse moqueur
ni ses amis qui le salissent
car jamais n'a commit d'horreurs
mais apporte la beauté en fleur
et sur une riche valeur le hisse.
Traduction libre de votre
serviteur Alain Deliquet
qui s'est astreint à respecter rimes et
octosyllabes.
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I
joi: a. 'joie, plaisir'; b. 'ce qui cause la joie, l'être aimé'
recaliu, rescaliu: a. 'braise';b. 'ardeur'; c. 'fièvre'; d. 'rechute'
VII
major: a. 'plus grand';b. 'majeur, principal'; c. 'aîné, premier‑né'
briu: a. 'impétuosité, empressement'; b. 'attaque'; c. 'valeur, force, durée'; d. 'court espace de temps'
ẹis, ẹps, ẹus, ẹs: 'même'
VIII
adautar: variantes: adaltar, adatar, adaudar, adzautar, asaltar, asautar, aszautar, auzautar, azautar : 1. a 'plaire; b 'il plaît à qn (de), il semble bon à qn (de)'
2. v. pr. a. 'se plaire [l'un à l'autre]';b. s'a. de 'être
charmé de, aimer, trouver goût à' d. 'se
délecter'
gabar: a. 'plaisanter'; b. 'se moquer'; c. 'exagérer, dire trop de bien'; d. 'faire le fanfaron'; e. 'menacer'
castiar, castigar, castejar: a. 'châtier'; b. 'reprendre, blâmer'; c. 'reprocher'; d. 'instruire, enseigner'
nominatiu: 'renommé, remarquable'
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Arnault
de Tintinhac
Arnaud de Tintignac (Arnault de Tintinhac
en occitan) était un troubadour et un noble limousin du XIIe
siècle.
Il est né au château de Tintignac à
Naves en Corrèze à proximité des
ruines gallo-romaines. Il était le seigneur de Tintinhac,
probablement un feudataire du vicomte de Turenne, et il
était fier de son héritage, comme quand il parle
de lui-même de façon anonyme comme "icel de
Tintinhac": «celui de Tintignac».
Il
pourrait être aussi le troubadour Limozi de Brive, _ surnom
donné par Bernart de Ventadorn _ lequel lui aurait
adressé une strophe de sa chanson "Tuilh cil que m preyron"
(Bdt 070,45v.43) qui n'est guere flateuse pour Arnault:
"Et le quatrième, le Limosi de
Brive,
un jongleur qui est le mendiant
qu'on puisse trouver jusqu'à Bénévent
et l'on dirait un pèlerin
malade, quand le malheureux chante
qu'il s'en faut de peu que j'en aie pitié."
Trois pièces, sont
attribuées avec certitude à Arnault,
_ En esmai et en cossirier (Bdt 034,1)
_Lo joi commens'en un bel mes (Bdt 034,2) Extraits ci-dessus
_Molt dezir l'aura doussana (Bdt 034,3)
une autre "Bel m'es quan reverdis l'erba"
est probablement de lui aussi.
Sa
versification est plutôt archaïque, il compose en
vers,
groupés en couplets de 7 vers. Il privilégie les
coblas
isométriques à base d'octosyllabes et affectionne
les
rimes masculines.
Trois
poèmes sur quatre saluent le retour du printemps. Chez lui
point
de lamentation pour une dame, bien qu'il soit contemporain de Bernart
de Ventadorn, et qu'ils aient probablement
échangés, pour
preuve des similitudes de vocables qui font situer son oeuvre vers
1140-1150.
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"Molt
desir..."
d'Arnault
de TINTINHAC troubadour de NAVES
I
Molt desir doussana l'aura
quan vei los albros floritz
e aug d'auzels grans e petitz ...
Lur chans pel vergiers e pels plais
e qui d'amor ha enveja,
temps aquel sin no se pleja,
pas de fils vueill, mi respeit lonc faire.
(autre version finale:
sin aquel temps no l'en preja
no
vueill son lonc respeit mi do ! )
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Strophe I
J'ai grand désir de câliner
quand je vois les arbres fleuris
et les oiseaux grands et petits...
Leurs chants par les vergers et
haies
d'un grand amour me donnent l'envie,
de cet instant où sans la forcer
ni luxure, mais en assurer la durée.
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plejar: triompher d'une femme
vil voler : mauvais désir,
lubricité
respiech: attente, délais, espoir
respect: respect
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II
Tot amor tenc per trefana,
quan bos amicx l'es demezitz,
s'il es falsa ni trichairitz
mentre qu’el es fins e verais,
s'al prim comensat vaireja,
a l'autre torn si sordeja ;
pueis pren l'avol e laissa·l
bo.
Non dic mal d'amor certana,
|
II
Tout amour n'est que perfidie
si vos amis tombent oubliés
car si c'est faux ou tricherie
alors que s'il est beau et vrais,
si au départ l'est véritable,
mais d'autre part s'il devient sourd ;
alors prenez la fuite au bois
Ne nies pas un amour loyal .
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trefan: perfide, fallacieux
demezir: échoir
fin de fin amor : (véritable, sincère,loyal, véridique, sûr) |
III
mas membrar vuelh las amairitz,
que·l cortes no si' escarnitz,
ni l'amors no·s torn en biais !
que, pos l'uns l'autre guerreja,
tot lo plus savis foleja
pos l'amors no vai de
razo.
Una gens es soteirana,
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III
Alors j'adhère aux amoureuses,
ceux des courtois non s'ils se moquent,
ni des liens à la dérobée
ou qui se font l'un l'autre guerre,
toutes les plus misérables folies
le peut amour, sans y penser.
Des gens sont plus bas que ceinture!
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amairitz: amante
cortés: courtois.
escarnir: tromper; railler
savai: vilain, vil, misérable.
savi: sage.
folejar: faire des folies; injurier
pòsc: « je peux »
soteirana: 'habit de dessous'
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IV
don no·s cela drutz ni maritz ;
— ricx malvatz, de pretz apostitz ! —
q’uns non a joi ni conortz mais
qui l’autrui afar gabeja,
la nueg que·l frons li torneja
ab lo vi en l’autrui
maizo.
Mas de mensonja s’apana !
|
Monsieur non pas, ni amant ni mari
_ mauvais riche, trompeur de réputation _
quelqu'un sans joie ni plaisirs, mais
qui berne et se gausse d'autrui,
la nuit que la tête lui tourne
avec du vin bu chez les autres.
Mais qui se repaît de mensonges !
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don: masculin de dona
drut: 'amant, galant',b. 'fidèle, ami privé'
malvat: méchant
ric: puissant, riche, noble
apostís/-titz: faux, trompeur
prètz: prix, valeur, réputation
jòi; joi: a. 'joie, plaisir'; b. 'ce qui cause la joie, l'être aimé'
conòrt: réconfort, consolation; plaisir
gabejar: railler, habler, baratiner
maijọ: 'maison', 'à la maison'
apanar:'nourrir, repaître,'celui qui est à la charge.
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V
No sai qual s’es plus aveuzitz,
de lauzengiers lengua-forbitz,
o cels que crezon digz savais !
Plus qu’al joc de la correja,
no sai sobre qual s’esteja
lo mager fais de mensprezo
!
Us jois me refresc’ e·m sana,
|
Je ne sais pas qui est le plus avilit,
des menteurs à la langue fourchue,
ou de ceux qui croient aux dires mauvais !
Plus que dans le jeu de l'écourgée,
je ne sais pas sur lequel me reposer,
le plus grand est d'imperfection !
Vos joies me rafraîchissent et me rendent sain,
|
avilsir, aveuzir: 'avilir, outrager, abaisser, s'avilir'
lauzengier: 'flatteur', 'médisant', 'trompeur, menteur'
savai: 'mauvais, méchant, misérable'; savaia 'monnaie fausse '
joc: 'jeu'
correja:'écourgée, fouet'
estatja: 'séjour', 'lieu de séjour, demeure, domicile'
majọr: 'plus grand', 'majeur, principal','aîné, premier‑né', aïeux
mesprezar, menesprezar, mensprezar : 'mépriser'
mespreizọṉ, mesprezọṉ, mensprezọṉ: 'faute, tort', 'défaut, imperfection'
us: 'usage, habitude', vos
sanh, san, sant, sante: 'saint' |
VI
mas no·m fo datz ni no·n soi fitz ;
pero, cui que sia cobitz,
ieu n’estauc alegres e gais ;
e soi cel qu’en va domneja
e non baiza ni maneja —
e maintas gens si·n faun lur
pro...
S'aquest jois fluris e grana,
|
mais que je ne soit pas maudit ni une fiente
mais, peu importe que je soit envié,
je me dandine joyeux et gai;
et suis celui qui drague les femmes
et n'embrasse ni n'emmanche -
et la plupart ne font pas leurs fruits...
Si celui-ci jouit de fleurs et graines,
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dahaz : interj.'maudit soit!
fętz: 'lie', 'fiente '
cobés: envieux
s'estautinar: marcher en se dandinant
domnejar: 'pratiquer la courtoisie'
manegar, margar: 'emmancher'
prenhọṉ: 'fruit du ventre, fœtus'
|
VII
ja mais non dei esser marritz,
quar sobre totz m'es abelitz
e non tanh sia brus ni bais,
que dins lo cor mi blanqueja —
l'an qu'ieu·n creri que senhoreja
sobre totz los autres que so
!
Sel de Tintinhac si merceja
ves sidons, a cui s'autreja,
qu'auj' et entenda la razo.
|
Jamais n'ai désiré être un mari,
car par dessus tout il me convient
et en rien du tout suis ni querelleur ni baiseur,
qu'en mon coeur c'est l'innocence.
l'on croit que je suis une femme
se sont surtout les autres qui le pensent !
Celui de Tintinhac demande grâce
envers sa dame, à qui il se donne,
qu'aujourd'hui se comprend la raison.
Traduction libre de votre
serviteur
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abelir: a. 'embellir, rendre (plus) beau',b. 'agréer, trouver bon', a 'plaire à, convenir à'
non tan: 'rien du tout'
brucar: 'cogner, heurter'
bais: 'baiser'
blanquejar: 'blanchir, blanchoyer, être blanc, devenir blanc'
cẹl:'celui'
mercejar: a. 'crier merci, demander grâce, supplier, implorer' c. 'être méritant'
ves:prép.a. 'vers, envers, contre'b. 'en comparaison de'
(si)dọns: 'ma dame, sa dame'
autrejar :'se donner, s'abandonner'
es: adv. 'voici, voilà'
entẹnda: 'convention' |
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